« L’époque, quoi qu’ils en disent, est immorale
(si ce mot là signifie quelque chose, ce dont nous doutons fort), et nous n’en
voulons pas d’autre preuve que la quantité de livres immoraux qu’elle produit
et le succès qu’ils ont. – Les livres suivent les mœurs et les mœurs ne suivent
pas les livres. »
Théophile Gautier, Préface -
Mademoiselle de Maupin.
Force est de constater que
depuis quelques mois les romans érotiques (ou qualifiés de tels) déchainent les
passions à défaut de faire naître la Passion.
Ma première réaction quant au
tintouin fait autour de certains ouvrages a été une profonde perplexité. Ce
n’est pas tant le fait que certaines lectrices semblent avoir découvert récemment
(ou à tout le moins affirmé découvrir) qu’il existait une sexualité autre que
celle, classique et pudique, se limitant à la position du missionnaire dans une
chambre plongée dans l’obscurité, que de voir à quel point certains carcans,
les « bonnes mœurs » comme on dit, sont encore tenaces… très tenaces.
N’ayant quant à moi pas lu, pour
des raisons qui me sont personnelles, les romans auxquels fatalement vous
n’aurez pas manqué de songer – coucou messieurs C.G. et G.C. – je ne me
permettrai pas d’en faire une critique ni même de donner le moindre avis ou
sentiment les concernant. Et de toute manière, tel n’est pas l’objet de ce
billet ; plutôt les réactions que cela a généré.
En tant que lectrice de
romances dites classiques et de romances paranormales entre autre, je sais donc
que l’érotisme (ou la sensualité si vous préférez) y est très présent, dans un
langage plus ou moins cru, avec des scènes plus ou moins détaillées et selon
les cas dans un style plus ou moins « féminin » ou au contraire « viril » mais
naturellement toujours associé aux sentiments. La volupté se trouve donc être l’un
des ingrédients incontournable de ces deux genres au même titre que les beaux
gosses ou les beaux ténébreux ou les écorchés de la vie sexy etc. etc…
Outre le fait que ces
ouvrages, à quelques exceptions près, évoquent une sexualité somme toute assez
classique… (il y a bien parfois quelques petits coquins plus fripons que les
autres par-ci par-là) ils mettent systématiquement en scène des… ? Des… ? Des
couples !
Aaaah le couple…
LE Couple, sacro-saint duo,
seul calice semblerait-il au sein duquel le plaisir aurait le droit de s’épanouir, s’exprimer, se
sublimer grâce aux merveilleux pouvoirs de l’amour !!
Alors, lorsque vous vous
avisez d’écorner, même un tout petit peu, cette image d’Épinal… vous voilà
vite-fait relégué à la rubrique « pornographie »...
Et si, en plus, un texte,
même sans oublier l’ingrédient sentiment met en scène une femme… (non
vierge ??? impure ??? Je préfère nettement le terme expérimentée !!)
assumant sa sexualité, s’avisant en outre d’avoir plusieurs partenaires pour
lesquels elle n’a pas nécessairement de sentiments, parce qu’elle en a envie,
recherche le plaisir pour le plaisir… à l’instar de certains hommes, libérée
donc, là il semblerait qu’aucun mot ne soit assez fort pour qualifier l’infamie
que cela constitue.
Loin de moi l’idée de faire
ici une quelconque leçon de morale. C’est pourtant à l’ami Diderot que
j’emprunterai quelques mots pour entrer
dans le vif du sujet :
« Le libertinage est la faculté de dissocier le sexe et l’amour, le
couple et l’accouplement, bref, le libertinage relève simplement du sens de la
nuance et de l’exactitude. »
Le Libertin (Éric-Emmanuel
Schmitt)
Ma motivation première n’était
pas de faire de Luxuria une série érotique (je prends cet exemple car il est
peut-être plus révélateur de mon point de vue et du message que je souhaitais
faire passer que dans la série Siana, encore que…), il est néanmoins vrai que le
libertinage et la sensualité y sont des composants présents, et, n’en déplaise à
certains, justifiés. Mais d’une manière générale, ces deux sagas démontrent ma
volonté de m’émanciper un peu des romances « classiques ».
L’idée d’écrire Luxuria (il y
a quelques années déjà et surtout bien avant que les romans traitant de
domination/soumission ne soient devenus autant « à la mode ») m’est venue
à la suite d’une lecture où l’auteur montrait ce que pouvait être une relation
SM mais qui personnellement heurtait ma propre vision de « la chose » et
peut-être même ma sensibilité, parce que l’aspect esthétique que peuvent
revêtir les pratiques SM (ou BDSM) était totalement occulté au profit d’une
certaine violence et de la vulgarité, ce qui est d’ailleurs souvent le cas lorsque
ces pratiques sont évoquées. Cela étant, ce n’est pas tant ce point que je
souhaitais évoquer dans ce billet que le trio que l’héroïne et deux des démons
mâles du roman y forment. Parce que je pense que c’est là que le bât blesse
vraiment.
Voyez-vous, sans tomber dans certains
excès du « Mouvement de Libération des Femmes », je reste
profondément convaincue que les femmes n’en ont pas encore terminé (pour la
plupart en tout cas et en dépit de ce que certaines disent) avec le joug des
bonnes mœurs, d’une morale étriquée, de la domination masculine et ont encore
du chemin à parcourir avant de pouvoir s’affirmer vraiment émancipées et
accéder au plaisir pur et simple sans être jugées, ou au moins en arriver à
accepter cette idée comme naturelle ou du moins admissible.
Vous n’êtes pas d’accord ?
Pourtant, il n’est qu’à voir
(enfin… entendre) les cris d’orfraie poussés lorsqu’une héroïne de roman fait
montre de la moindre liberté sexuelle surtout avec celui-qui-n’est-pas-officiellement-destiné-à-devenir-son-compagnon,
quand elle couche avec un homme (ou plus) pour lequel elle ne ressent pas de
sentiment, ou lorsqu’elle a des rapports avec deux hommes qu’elle aime pourtant
sincèrement.
[ Petit rappel au passage, utile
me semble-t-il au regard de ce que j’ai pu lire.
Partouze : Partie de
débauche au cours de laquelle les participants (dont le nombre excède généralement quatre), pratiquent
l'échange des partenaires et se livrent à des activités sexuelles collectives
et simultanées.]
Avec un trio, (voir les
notions de couples ouverts, polyamours ou amours plurielles… c’est loin d’être
rare), où la femme est aimée et sincèrement respectée nous sommes donc encore
loin de la partouze et même formidablement loin de la femme utilisée par des
mâles lubriques. Parce que cela aussi est souvent pointé du doigt. Pourquoi dès
que l’on évoque une femme assumant sa sensualité, sa sexualité, ses désirs, ses
fantasmes, son corps… Paf ! Elle se transforme comme par magie en femme
objet, honteusement utilisée, dégradée ? N’est-ce pas elle à ce moment-là
qui tient les rênes justement ? Parce qu’en vérité, le sexe, s’il est
source de plaisir, est aussi source de puissance, de pouvoir. Pourquoi ne
toujours regarder les choses que par le mauvais bout de la lorgnette ?
Libérée ou libertine, une
femme maîtrise son corps, décide de sa vie sexuelle et amoureuse, hors couple
ou en son sein.
J’ai pu en outre constater (et
cela m’a profondément troublée) que les premiers à défendre les droits de la
femme sont aussi les premiers à huer, mépriser, juger même, une femme qui ne
rentre pas dans le moule, une femme qui ne reste pas à sa place de femme :
sous un cadre poussiéreux.
Alors, peut-être ceux-là n’auront-ils
pas bien lu, ou n’auront pas voulu voir ce qui était vraiment écrit. Sans doute
les barrières de sécurité de la société bien-pensante se seront bien vite élevées
pour préserver de cette ignominieuse perversité leur très morale conception du
couple, du sexe qui se doit d’être strictement régi par des codes parfois obsolètes.
« Autres temps, autres
mœurs » ou mœurs d’un autre temps ?
Enfin, pour clôturer ce
billet (j’espère que je n’ai perdu personne en route) j’aimerais aborder un très
court instant les notions de perversité et de déviance sexuelle.
Deux termes liés à la notion de
normalité elle-même édifiée sur des règles religieuses, sociales et culturelles…
(et il n’y a pas si longtemps de cela en ce qui concerne le sexe, sur la santé
mentale).
Les sociétés et donc les mœurs
n’ont eu de cesse de changer au cours de l’histoire… ce qui était normal jadis
ou ailleurs ne l’est plus. Ce qui vous paraît normal ne l’était pas jadis et ne
l’est pas ailleurs.
Bigre, je crois bien que nous
avons affaire à un cercle… vicieux.
En conclusion, le mépris affiché,
parfois hypocrite d’ailleurs, vis-à-vis de pratiques et de désirs recherchés
par des personnes adultes et consentantes (ne nuisant à personne donc) me navre
profondément.
Mais ça n’est que mon point
de vue.
♂♀♂
« Ce n’est ni dégradant ni sale. C’est une manière différente d’avoir du
plaisir, ainsi qu’un moyen d’accéder à une autre sensualité. »
Sio, Luxuria
« Devais-je réellement me restreindre au prétexte
que d’ordinaire on ne « doit » aimer qu’une personne ? Qui avait décrété cela ?
Et de quel droit ? Pourquoi devait-il systématiquement y avoir des bornes, des
interdits, des limites ? Parce que l’amour est un noble sentiment ? Était-ce
moins sublime ou honorable d’aimer deux êtres, ou plus, plutôt qu’un seul ? En
quoi cela pouvait-il être moins beau si ce que vous aviez à donner était
sincère ? »
Sláine, Luxuria
« Peux-tu me dire qui a décrété que le sexe était
une mauvaise chose ? Pourquoi une femme devrait se réfréner sous peine de
passer pour une salope là où les hommes, pour être considérés comme virils,
peuvent multiplier les aventures ? (…) À partir du moment où il y a désir
mutuel, le plaisir reste le plaisir quoi qu’il advienne. Et ce sont des
personnes à la moralité étriquée, des individus terrifiés par le pouvoir du
corps et du plaisir qui affirment le contraire ! »
Téli, Khaos