L'action de ce roman se déroule en 1900
Un regard à travers le temps
que Valerian s’était attendu à découvrir froid, triste ou vide. Il était étonnamment
vif au contraire. Et presque rieur.
Le jeune homme l’avait pris
de plein fouet, si fort qu’il en oublia l’époque et les circonstances du
tournage de cette séquence, et autorisa la danse de Salomé à l’atteindre
pleinement, le balancement érotique de ses hanches et les langoureux ondoiements
de son ventre à l’exciter, l’adorable fossette de son nombril à l’hypnotiser, les
gestes gracieux de ses bras et de ses mains, les mouvements de sa tête qui
faisaient danser sa longue natte à le charmer.
Valerian avait beau faire,
lutter de toutes ses forces contre son envie de ne penser qu’à lui, il ne
pouvait s’interdire d’imaginer la jeune femme lui faisant profiter de cette sarabande
et à la volupté qu’il en retirerait si elle…
Sacré bon sang de nom de nom !
Salomé était si belle. Et
Souple. Époustouflante et… tellement souple.
Valerian était dans un état
indescriptible lorsque le noir se fit. Enfin, était-il tenté de dire.
Il baissa la tête, avec
l’espoir un peu dérisoire que les mots lui reviennent. Ou sa raison plutôt. Le
désir s’en était emparé et il n’était pas du tout certain de la récupérer intacte,
ni même de parvenir à se contrôler.
Salomé ne cessait de danser
dans sa tête, encore et encore, enflammait son imagination, consumait son
esprit, enfiévrait son corps.
À l’instar de la fille
d’Hérodiade qui avait dansé sur les siècles pour mieux hanter l’esprit des
hommes de tous temps.
Petite princesse de Judée
anonyme devenue mythe.
Vierge qui dansait le désir.
Mystérieuse danseuse.
Putain vierge.
Creuset de tous les
fantasmes.
Muse des mots, du marbre et
des couleurs. Égérie des tirades et des quatrains.
Admirable inspiratrice.
Fleur létale.
Femme fatale.
De toutes les Almées, c’était Salomé que cette fin de siècle avait le
plus follement aimée.
Plus que les autres.
Pour mieux la craindre ou mieux la honnir.
Continuité et conclusion d’un long processus qui avait débuté avec Les
Pères de l’Église.
Par besoin d’expliciter les circonstances de l’emprisonnement et de la
mise à mort du prophète Jean-Baptiste.
En vertu du principe traditionnel d’écho entre les Ancien et Nouveau
Testaments, ils avaient cherché une nouvelle coupable pour asseoir leur
discours misogyne et leur éthique opposant la chair et l’esprit.
Impossible de souiller l’image de Marie, mère du Christ et Élue.
Marie-Madeleine était repentie.
Les femmes gravitant autour de Jésus étaient saintes.
Ève, grande pécheresse devant l’Éternel et archétype de la dangereuse
tentatrice s’imposait déjà sur l’Ancien Testament.
Une petite princesse de Judée sans prénom oubliée dans un recoin obscur
de la Bible se changea alors en danseuse perverse et dépravée.
Une toute jeune fille intacte exécutant une danse impudique récompensée
par un homicide.
Vierge manipulatrice et mortifère, personnification de la lubricité et
du vice.
Prêtresse du sexe et de la mort par le sang d’un Saint.
Salomé évoluait maintenant dans les pas des scandaleuses danseuses
exotiques.
Plus que jamais elle suscitait le désir des hommes.
Plus que jamais
sa danse sensuelle et décadente se faisait macabre.
Plus que jamais elle se
faisait miroir de leurs vices et reflet de leurs angoisses : maladie,
folie, mort.
Peur morbide de la sexualité féminine. De la folie
amoureuse. De la puissance de la séduction féminine synonyme de castration.
Peur de ces femmes qui entendaient s’affranchir de
leur tutelle, à se révolter, s’émanciper.
À vouloir disposer de leur propre corps.
À penser par elles-mêmes. À se mêler d’esprit !
Répulsion et fascination pour une femme qui n’était
ni épouse ni mère. Qui leur échappait
Un mythe. Une déesse païenne.
Une Femme-Fleur du Mal, « grande fleur vénérienne, poussée dans des couches sacrilèges,
élevée dans des serres impies » sous la plume de Huysmans trempée dans
les couleurs de Gustave Moreau.
Un corps ardent qui se
dévoilait et entremêlait ses contorsions multicolores aux mots de Gustave Flaubert
tout imprégnés de ses souvenirs d’orient, du parfum et de la peau de Kuchiuk-Hanem[1].
Un vampire caché sous les sept
voiles de la danse des mots d’Oscar Wilde. Le dit du désir dans le
silence d’une danse de pure invention. Une didascalie à sept couleurs qui met le feu à l’imagination
pour mieux recevoir le baiser
nécrophile d’une princesse lunaire avide de goûter la saveur du sang du
prophète.
Mais peut-être était-ce le goût
de l’amour…
« Le mystère de l’amour
est plus grand que le mystère de la mort. Il ne faut regarder que l’amour », raisonnait la Salomé de
Wilde depuis sa folie.
Raisonnablement fou mais
follement amoureux, Valerian se redressa pour regarder son amour dans les yeux.
Sa Salomé ne dansait sur les
pas d’aucune autre.
Elle n’était pas vierge mais
son cœur était pur.
Son écarlate n’était pas
celui du péché ou de la luxure ni celui du sang mais le rouge du vin du désir
et de l’amour qu’elle avait répandu dans ses veines, celui de ses lèvres où il
s’en abreuverait.
Et sa danse était un
admirable langage, celui d’un corps en mouvement, en totale contradiction avec
une société corsetée de toute part.
Voilà pourquoi son regard
avait été si plein de vie et pétillant d’ironie.
Pendant les quelques
instants qu’avait duré sa danse, elle avait été libre. Une liberté à jamais
fixée sur la pellicule et qu’elle avait choisi de lui révéler en même temps que
ses talents cachés.
Prénom et danseuse étaient
bien intimes.
Et Valerian avait été tout
près d’en perdre la tête.
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